Yves KLEIN
“C’est vrai qu’au début on n’y voit rien. Pas un dessin. Pas un point ni une ligne. Le bleu uniquement, un bleu si intense et si profond qu’il se reflète dans l’œil comme le ciel sur la mer. Pendant quelques minutes, on cherche encore un indice. Quelque chose. Une signature au moins. Mais non, ce n’est que du bleu que nous voyons là. La couleur pure. La couleur vive et puissante. Elle vibre et irradie comme un soleil. Elle n’a aucune limite.
Bleu de l’eau, bleu de l’air ou bleu du vent, il ne représente rien de concret et pourtant il nous habite au plus profond de nous. Cette couleur c’est l’International Klein Blue. Elle ne dévoile rien d’un premier regard. Devant elle, on se met à imaginer tout ce qu’on aimerait voir. Comme si tout d’un coup nous n’avions plus besoin d’images. Nous pourrions alors y dessiner tous nos rêves.
Nous pourrions nager en plein océan ou tourner en orbite dans l’espace, voler plus haut que les oiseaux, plus loin encore que les Spoutniks. Nous pourrions sauter ici dans le grand vide, faire le tour de la Terre et colorier le monde entier. Ici, il n’y a ni barrières, ni murs, ni pesanteur. C’est l’empire de la sensibilité, un pays des merveilles, un monde d’avant les mots qui n’a de limites que celles de l’imagination. Dans cette aventure monochrome, c’est notre esprit qui voit avec nos yeux. Il ne faut pas regarder, il faut ressentir, respirer et goûter.
S’évader dans un voyage immobile. Se défaire de ce que l’on connait pour mieux accueillir ce dont nous rêvons. Imaginer que la beauté est là, invisible, prête à être découverte.
Et pour cela, nul n’a besoin d’être artiste, savant ou simple fou. Non, pour cela il suffit seulement d’y croire.”
Charlotte Ménard, extrait de A Kids’ book of wonders, éditions Artichaut, Paris – Udine, 2018